Société d’Archéologie, d’Histoire, de Géographie de la Drôme
L’installation de l’association
Le 1″ mars 1866, la Société s’est réunie, à 2 heures après midi, dans la grande salle de la bibliothèque de Valence, pour procéder à la constitution de son Bureau définitif et à la nomination de la Commission chargée de la publication du Bulletin de ses travaux.
Sur 124 membres dont se composait la Société, 34 étaient présents, et ils ont déposé sur le bureau 21 procurations ; ensemble 55 membres présents ou représentés.
Préalablement à l’ouverture du scrutin, M. le Président provisoire a informé l’assemblée de la découverte récente de deux mosaïques près de la cathédrale de Valence et de l’existence d’une troisième mosaïque déposée depuis plus de vingt ans à la bibliothèque de cette ville, et restée inconnue jusqu’à ce jour. Une commission a été nommée pour étudier ces oeuvres d’art. Son rapport n’est point prêt encore ; mais, de ses premières investigations, elle conclut à la nécessité d’étendre le périmètre des fouilles et demande l’ouverture d’un crédit à y affecter, ainsi qu’à reconnaître la mosaïque de la bibliothèque. Cette proposition a été mise aux voix par le Président, et l’assemblée, à une grande majorité, a voté un crédit de 300 Fr. pour cet objet.
Il a été ensuite procédé, par la voie du scrutin secret, aux élections des membres du Bureau définitif et de la Commission du Bulletin.
Le discours d’installation de M. le Préfet, Henry Alexandre Jean-Baptiste Théophile Le BEAU, baron de Montour
« MESSIEURS,
J’ai tenu à vous exprimer toute la satisfaction que j’éprouvais à vous voir réunis pour la constitution de notre Société, et, en même temps, à vous féliciter de l’empressement que vous avez mis à répondre à mon appel.
Il y a deux mois, la Société d’Archéologie et de Statistique n’était pas formée; aujourd’hui, elle se compose de 125 membres environ. Il y a deux mois, des hommes d’étude et d’intelligence, disséminés çà et là dans le département, se livraient individuellement à leurs travaux favoris, à leurs chères études; et ces travaux silencieux, exquise consolation des esprits d’élite, comme disait le grand orateur romain, franchissant rarement le seuil de la maison ou le cercle d’une intimité choisie, s’éteignaient quelquefois obscurément, sans profit pour le département, pour la science et pour le pays.
Aujourd’hui, tous ces hommes sont unis par le lien de l’association, qui, dans le domaine intellectuel, permet d’accomplir autant de merveilleux résultats que dans le domaine industriel et le monde des affaires. Les intelligences, Messieurs, sont, en effet, des capitaux, et leur réunion augmente leurs forces et les fait fructifier, suivant la même loi naturelle qui développe la puissance des capitaux ordinaires associés dans un but commun.
Au surplus, Messieurs, la création d’une Société comme la nôtre était naturellement indiquée dans le département, et maintenant que l’épreuve est faite et que vous avez prouvé, permettez-moi de le dire, le mouvement en marchant, chacun doit être convaincu, comme moi, que non seulement cette Société était possible, mais qu’elle était nécessaire.
Comment, d’ailleurs, pouvait-il en être autrement? En effet, en ce qui concerne l’archéologie, y a-t-il en France un département qui puisse fournir, plus que le nôtre, au savant, à l’homme d’étude, tant de sujets de recherches et d’observations pour notre histoire nationale, et aussi pour les transformations successives de la société française? En est-il un, en même temps, où le passé ait laissé plus de traces, comme monuments, chartes, cartulaires et vestiges de toute sorte? Ainsi, on peut suivre pas à pas, écrite en quelque sorte sur les ruines qui couvrent encore ce sol glorieux, non-seulement l’histoire des événements qui se sont succédé dans notre pays, mais encore les progrès de la vie civile, communale et politique qui s’y sont accomplis depuis les siècles les plus reculés.
Cela se conçoit : placé comme l’est le Dauphiné au pied des Alpes et sur le passage naturel de toutes les invasions qui ont sillonné notre territoire, et, d’un autre côté, offrant par sa situation topographique et, disons-le, Messieurs, par la richesse du pays, une position stratégique des plus importantes pour les conquérants qui, depuis des siècles, se sont disputé le territoire de la Gaule et pour toutes les civilisations qui tour à tour s’y sont heurtées ou ont tenté de s’y établir, notre province devait être un des théâtres principaux des événements qui se sont succédé depuis plus de mille ans sur cette illustre terré française.
Bien mieux, les traditions locales conservent le souvenir de ces grands événements du passé; Ainsi permettez-moi de vous citer ce fait qui m’a particulièrement frappé en arrivant dans ce département, et dont j’ai voulu nie’ rendre compte, en remontant à la source même de la tradition^ Les bateliers du Rhône disent encore aujourd’hui : Royaume, Empire – suivant qu’ils veulent indiquer ou la rive droite ou la rive gauche, le Dauphiné ou lé Vivarais; Eh bien ! Cette locution, que répètent depuis des siècles ces braves gens, rappelle Un des faits les plus considérables de l’histoire, c’est-à-dire l’époque du XIe siècle, où les possessions des empereurs d’Allemagne s’étendaient jusqu’à la rive gauche du Rhône et peut-être l’époque même du partage du grand empire de Charlemagne dans le IXe siècle, sous Louis-le-Débonnaire, en empire d’Occident et en royaume de France.
D’un autre côté, il est facile de se rendre compté de l’intérêt tout particulier que présente dans nôtre, pays l’étude des diverses transformations de notre société française; d’abord, à cause des événements qui ont placé le Dauphiné sous tant de dominations diverses j jusqu’au moment où il a été rattaché définitivement à la grande famille françaises à laquelle il devait apporter sa part de patriotisme et de gloire-, ensuite,- par l’histoire aussi curieuse qu’instructive des divers pouvoirs féodaux, civils ou ecclésiastiques qui ont successivement gouverné le pays ; et laissez-moi aussi le dire, Messieurs, par l’histoire des guerres religieuses qui l’ont si longtemps agité, et dont un de nos plus illustres membres, M. Denis Long, a tracé si impartialement le tableau. Et, puisque je suis appelé à citer un nom, qu’il me soit permis de citer d’autres membres de notre Société dont les travaux intéressants nous fournissent la preuve de ce que j’avance, en vous rappelant les noms de MM. Giraud, Rochas, Ulysse Chevalier, Vallentin, de Gallier, et tant d’autres que nous pourrions nommera avec orgueil.
Nulle part, en effet, on ne trouve, concentrés sur un aussi petit espace que celui que présente le Dauphiné, tant de vestiges si nombreux et si intéressants pour notre histoire nationale.
Notre Société, Messieurs, a une double mission : non seulement elle est formée pour l’étude du passé et de ses enseignements, mais aussi pour l’étude des faits contemporains qui sont du ressort des observations de la statistique; et c’est ainsi que le but qu’elle est destinée à poursuivre s’agrandit et se complète pour ainsi dire.
Le siècle où nous sommes a fait faire un grand pas aux sciences, d’abord par ses découvertes personnelles, puis, surtout, par un mode de procéder qui est presque une découverte, et qui sera certainement une de ses gloires : par la méthode de l’observation. C’est l’observation appliquée à la science qui l’a développée, qui l’a poussée en avant et qui l’a fait sortir de cette espèce d’immobilité et d’inefficacité où elle était, sans cela, condamnée à rester sous le nom d’empirisme; en un mot, c’est par l’observation que la science a pu descendre du domaine de la spéculation et de la théorie, pour entrer dans le domaine des faits, où seulement elle peut être utile.
Des sciences naturelles, cette pratique nouvelle s’est étendue aux sciences que j’appellerai intellectuelles, et, parmi celles-ci, à cette science nouvelle qui est appelée à jouer un si grand rôle dans nos sociétés modernes, à l’économie politique. C’était là surtout, en effet, que ce mode de procéder, par l’observation et la déduction des faits, devait être appliqué; car, dans cette science, moins que dans toute autre, on ne peut procéder par intuition ou par inspiration, mais seulement par l’analyse des faits que l’on a constamment et intelligemment observés.
Or, c’est cette observation des faits et la déduction qu’on en tire qui s’appelle la statistique ; et c’est pour cela qu’à l’époque où nous sommes, époque où se discutent de si grands problèmes dont la solution touche si directement aux intérêts matériels des sociétés modernes, l’application de cette science devient indispensable à l’étude préparatoire de ces grandes questions et à la solution de ces redoutables problèmes.
Vous savez, Messieurs, tout le prix que le Gouvernement attache, avec raison, aux progrès de cette science; vous connaissez tous les encouragements qu’il lui accorde et l’organisation officielle qu’il a cru devoir en quelque sorte lui donner, dans l’intérêt de l’administration et du pays lui-même, par les instructions qu’il transmet journellement à ses agents, et notamment par l’institution des commissions de statistique cantonale. Il est hors de doute qu’une société, créée dans le même but, pourra par ses travaux seconder puissamment l’administration, et ce ne sera pas là, Messieurs, un des moindres mérites de votre Société; aussi je ne saurais trop appeler votre attention sur ce sujet et trop réclamer vos efforts pour seconder ceux de l’administration.
Dans quelque temps, – l’Empereur l’a annoncé dernièrement, – une grande enquête sera ouverte sur l’agriculture; et, quoique les sociétés spéciales soient appelées plus naturellement à y prendre part, le sujet est assez considérable, le champ assez vaste et les questions qu’il s’agira de traiter assez complexes, pour qu’il vous soit permis de les examiner de votre côté et à votre point de vue particulier ; vous pourrez ainsi apporter dans cette grande étude le tribut de vos observations et de vos lumières, et prendre une place utile dans cette enquête nationale.
Tel est, à grands traits, Messieurs, le programme de vos travaux; il vous appartiendra, aux termes de votre règlement, de les subdiviser en autant de sections qui vous paraîtront correspondre le mieux aux diverses branches de vos principales études. De cette manière, vous trouverez le moyen d’utiliser toutes les intelligences, toutes les bonnes volontés, et de faire tourner ainsi tous les travaux individuels au profit des études principales qui constituent le but de la Société.
J’ai parlé un peu longuement peut-être des choses; laissez-moi vous dire un mot des personnes, et me féliciter devant vous d’avoir rencontré et d’avoir pu ainsi associer à mon initiative des hommes intelligents, dévoués, qui l’ont comprise et m’ont offert spontanément de la seconder. J’ai eu foi en eux pour l’organisation de la Société; et je puis vous dire, Messieurs, d’ailleurs en ai-je besoin, vous qui les connaissez que vous pouvez également avoir foi dans leur ardeur, leur intelligence et leur zèle pour le développement de celte Société, qui est autant la leur qu’elle est mienne.
Je l’ai organisée, cette Société, avec plaisir, avec bonheur, parce que j’ai pensé, et que je suis convaincu aujourd’hui, qu’elle sera féconde en bons résultats et surtout utile au département.
C’est à vous, maintenant, à prouver que je ne me suis pas trompé; et, permettez-moi de le dire, Messieurs, je suis persuadé que j’aurai raison, tant que cette Société sera composée d’hommes comme vous, et dirigée surtout par des hommes animés des idées de progrès et d’ardeur pour le bien public, tels que ceux placés aujourd’hui à sa tête, qui sauront vous prouver, en toute occasion , qu’ils méritent votre confiance comme ils ont mérité la mienne. »
Cette remarquable allocution, écoutée avec une attention soutenue et le plus vil intérêt, a été couverte des plus chaleureux applaudissements.
–
Le premier Bureau
Président
M. DE SAINT-GENIS, directeur des domaines.
Vices Présidents
M. le docteur BONNET.
M. le chanoine JOUVE.
Secrétaire
M. CHENEVIER, imprimeur.
Vice-Secrétaire
M. GUILLEMINET, professeur au collège.
Trésorier
M. POINÇOT, agent-voyer en chef.
Vice-Trésorier
M. BULOT, architecte du département.
Archiviste
M. LACROIX, archiviste du département.
Commission du Bulletin
M. PELOUX , ingénieur.
M. LACROIX, archiviste du département.
M. Charles DE ROSTAING.
M. MALLENS, bâtonnier de l’ordre des avocats.
M. RICHAUD , principal du collège.